Jean RACINE Bérénice acte IV scène 5
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Video Source: www.youtube.com/watch?v=Nz24YqKoYiY
Scène V • Titus, Bérénice • BÉRÉNICE (en sortant) • Non, laissez-moi, vous dis-je ; • En vain tous vos conseils me retiennent ici, • Il faut que je le voie. Ah ! Seigneur, vous voici ! • Eh bien ? il est donc vrai que Titus m'abandonne ? • Il faut nous séparer ; et c'est lui qui l'ordonne ! • TITUS • N'accablez point, Madame, un prince malheureux. • Il ne faut point ici nous attendrir tous deux. • Un trouble assez cruel m'agite et me dévore, • Sans que des pleurs si chers me déchirent encore. • Rappelez bien plutôt ce cœur qui tant de fois • M'a fait de mon devoir reconnaître la voix. • Il en est temps. Forcez votre amour à se taire, • Et d'un œil que la gloire et la raison éclaire, • Contemplez mon devoir dans toute sa rigueur. • Vous-même, contre vous, fortifiez mon cœur, • Aidez-moi, s'il se peut, à vaincre ma faiblesse, • A retenir des pleurs qui m'échappent sans cesse ; • Ou, si nous ne pouvons commander à nos pleurs, • Que la gloire du moins soutienne nos douleurs, • Et que tout l'univers reconnaisse sans peine • Les pleurs d'un empereur et les pleurs d'une reine. • Car enfin, ma Princesse, il faut nous séparer. • BÉRÉNICE • Ah ! cruel ! est-il temps de me le déclarer ? • Qu'avez-vous fait ? Hélas ! je me suis crue aimée. • Au plaisir de vous voir mon âme accoutumée • Ne vit plus que pour vous. Ignoriez-vous vos lois • Quand je vous l'avouai pour la première fois ? • A quel excès d'amour m'avez-vous amenée ? • Que ne me disiez-vous : « Princesse infortunée, • Où vas-tu t'engager, et quel est ton espoir ? • Ne donne point un cœur qu'on ne peut recevoir ». • Ne l'avez-vous reçu, cruel, que pour le rendre, • Quand de vos seules mains ce cœur voudrait dépendre ? • Tout l'empire a vingt fois conspiré contre nous. • Il était temps encore : que ne me quittiez-vous ? • Mille raisons alors consolaient ma misère : • Je pouvais de ma mort accuser votre père, • Le peuple, le sénat, tout l'empire romain, • Tout l'univers, plutôt qu'une si chère main. • Leur haine, dès longtemps contre moi déclarée, • M'avait à mon malheur dès longtemps préparée. • Je n'aurais pas, Seigneur, reçu ce coup cruel • Dans le temps que j'espère un bonheur immortel, • Quand votre heureux amour peut tout ce qu'il désire, • Lorsque Rome se tait, quand votre père expire, • Lorsque tout l'univers fléchit à vos genoux, • Enfin quand je n'ai plus à redouter que vous. • TITUS • Et c'est moi seul aussi qui pouvais me détruire. • Je pouvais vivre alors et me laisser séduire ; • Mon cœur se gardait bien d'aller dans l'avenir • Chercher ce qui pouvait un jour nous désunir. • Je voulais qu'à mes vœux rien ne fût invincible, • Je n'examinais rien, j'espérais l'impossible. • Que sais-je ? j'espérais de mourir à vos yeux, • Avant que d'en venir à ces cruels adieux. • Les obstacles semblaient renouveler ma flamme, • Tout l'empire parlait, mais la gloire, Madame, • Ne s'était point encore fait entendre à mon cœur • Du ton dont elle parle au cœur d'un empereur. • Je sais tous les tourments où ce dessein me livre, • Je sens bien que sans vous je ne saurais plus vivre, • Que mon cœur de moi-même est prêt à s'éloigner, • Mais il ne s'agit plus de vivre, il faut régner. • BÉRÉNICE • Eh bien ! régnez, cruel, contentez votre gloire : • Je ne dispute plus. J'attendais, pour vous croire, • Que cette même bouche, après mille serments • D'un amour qui devait unir tous nos moments, • Cette bouche, à mes yeux s'avouant infidèle, • M'ordonnât elle-même une absence éternelle. • Moi-même j'ai voulu vous entendre en ce lieu. • Je n'écoute plus rien, et pour jamais : adieu... • Pour jamais ! Ah, Seigneur ! songez-vous en vous-même • Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ? • Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous, • Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ? • Que le jour recommence et que le jour finisse, • Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice, • Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ? • Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus ! • L'ingrat, de mon départ consolé par avance, • Daignera-t-il compter les jours de mon absence ? • Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts. • TITUS • Je n'aurai pas, Madame, à compter tant de jours. • J'espère que bientôt la triste Renommée • Vous fera confesser que vous étiez aimée. • Vous verrez que Titus n'a pu, sans expirer... • BÉRÉNICE • Ah Seigneur ! s'il est vrai, pourquoi nous séparer ? • Je ne vous parle point d'un heureux hyménée ; • Rome à ne vous plus voir m'a-t-elle condamnée ? • Pourquoi m'enviez-vous l'air que vous respirez ? • Lu par Michel Garçon, professeur de phonétique française • http://www.frenchphonetics.com • ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- • – Activez les sous-titres dans la vidéo pour suivre avec le texte COMPLET original – • ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- • #BéréniceActeIVScène5 • #JeanRacine • #ThéâtreAudio
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