Les Tziganes Edmond Rostand
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Les Tziganes, Edmond Rostand • récité par Henry Marx • Disque Odeon • Les tziganes • Un ordre fut donné par le chef à mi-voix, • Et des bruits d'instruments dans l'ombre s'entendirent. • Le silence se fit. Et, sur leurs clés de bois, • Harmonieusement les cordes se tendirent. • Ce ne furent d'abord, sous les arbres touffus, • Que des fragments épars d'harmonie essayée, • — Par de vagues accords, des préludes confus, • L'âme des violons voulant être éveillée. • Incertains un moment gémirent les altos, • Puis de leur gravité sonore ils s'assurèrent, • Et les Tziganes noirs, drapés dans leurs manteaux, • Brusquement, pour jouer, en cercle se levèrent. • Alors le chef, les yeux perdus, improvisant, • Attaqua la mesure avec un geste large, • Et, du son merveilleux lui-même se grisant, • Il partit, endiablé, comme dans une charge. • L'orchestre répandit un long bruit de sanglots ; • Et du même côté, tous, la tête penchée, • Ils envoyaient l'archet, pâles, les yeux mi-clos, • Ivres de l'harmonie en ondes épanchée. • Ils jouaient, balançant lentement leurs grands corps, • Et toujours un sourire énigmatique aux lèvres. • Et par moments c'étaient d'étranges désaccords, • Ou, sous les doigts pinceurs, des pizzicati mièvres. • Agacés quelquefois par les archets frôleurs, • Les instruments avaient des plaintes fantastiques, • Comme le vent nocturne ou les dogues hurleurs • Montant lugubrement leurs gammes chromatiques. • Tantôt sous un baiser de lune on croyait voir • Quelque apparition vague en une clairière, • Tantôt des cavaliers passer sous un ciel noir • Quand le rythme prenait une fureur guerrière. • Et c'étaient, tout d'un coup, d'immenses désespoirs, • Plaintes de trahison, mortes chères pleurées ; • Et puis, des souvenirs attendris de beaux soirs… • Et les cordes n'étaient plus qu'à peine effleurées. • Le violon du chef chantait éperdument. • Quel étrange génie avait donc ce grand diable ? • Il passa tout d'un coup du sauvage au charmant : • Et ce fut une valse, alors, inoubliable ! • Son archet, appuyé dans toute sa longueur, • Faisait monter un son d'une pureté grave, • Qui vous envahissait de trouble et de langueur, • Et qui se prolongeait, agonisant, suave ! • Vous roulant, vous berçant, avec quelles lenteurs • Ondulait et mourait la vague mélodique ! • Et plus que la nuit chaude, et plus que les senteurs, • Elle prenait les sens, cette rare musique ! • J'écoutais, subissant comme un charme pervers. • Parfois, il me semblait que ces archets magiques • Jouaient, ayant quitté leurs cordes, sur mes nerfs… • Et c'étaient de beaux cris d'amour, longs et tragiques ! • Car d'abord le chef seul avait improvisé. • Chaque musicien suivait, comme un élève, • Accompagnant le chant… Mais voilà que, grisé, • Chacun était parti maintenant dans son rêve ! • Dans son rêve, les yeux fermés, chacun marchait. • Ce n'étaient plus du tout de simples airs de danses, • Car le cœur de chacun saignait sous son archet, • Et tous ces violons chantaient des confidences ! • https://archive.org/details/lesmusard...
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